
Étant enfant, je garde en mémoire cette image de mon père allant chaque jour travailler, se
levant à l’aube et vêtu d’un jean, basquettes et veste si besoin. J’ai su après quelques années
d’éveil que son travail se trouvait au port, puis découvrit des années plus tard qu’il fut directeur
général d’une ex entreprise publique activant dans le domaine de la pêche.
Pour mon père, ces expressions « savantes » que les médias et réseaux sociaux nous matraquent
avec, comme le leadership, le management, les soft skills, les KPI, …etc n’avaient aucun sens et
aucune place dans son écosystème et son approche axée autour du travail ardu et des résultats
concrets.
En résumé, pour mon père la stratégie d’une entreprise est la prise de conscience d’une réalité
économique en l’associant à du travail.
UNE RÉALITE ECONOMIQUE
Un contexte, un marché, des contraintes
Que cela soit pour le secteur public ou privé, l’approche est similaire et pour les fondateurs et/ou
actionnaires il s’agira de cerner le marché, l’étudier et d’en analyser les contraintes et les
opportunités avant de lancer un projet ou un produit et donc d’investir.
La seule différence entre le secteur public (en Algérie) et privé dans la phase de décision
d’investissement c’est l’aspect politique (électoraliste) qui vient troubler la vision économique et
au diable les projets lancés sans maturation, avec d’énormes fonds et moyens réunis, d’emplois
perdus et de statuts sociaux bouleversés.
Pour le secteur privé, il s’agira avant tout de savoir si cela génèrera des profits et que les
actionnaires percevront plus de dividendes chaque année.
Et cette réalité économique changeante, car tributaire aussi de la dynamique internationale
(guerres, conflits, pandémies, …etc), amènera donc à un ajustement de la réflexion
entrepreneuriale pour les fondateurs et/ou actionnaires, à travers des mesures qu’on peut
facilement constater : réduction ou compression du personnel, suspension ou l’annulation des
investissements, fusions ou même liquidation.
LA CONCRETISATION DE CETTE STRATEGIE PAR L’ACTION
Et ce n’est pas par hasard que le mot « stratégie » appartient sémantiquement au langage
militaire, car cela laisse entendre une discipline dans la réflexion, mais aussi une discipline dans la
mise en œuvre (l’opérationnel).
Ainsi, les actionnaires ayant confié la mise en œuvre de la stratégie au manager général,
attendront de lui surtout de se prononcer sur la faisabilité de cette stratégie, après qu’il soit luimême vêtu d’un jean et scrutant les unités de production de son entreprise, au lieu de se
contenter de visualiser des tableaux Excel ou d’autres spectacles sur Power Point autour d’un
buffet.
Pour l’industrie cela est primordial, ce n’est pas une société de courtage où on passera nos
journées devant un ordinateur ou sur son téléphone, mais un exercice de suivi des fonctions :
achat, approvisionnement, logistique, ventes, RH, …etc, afin de cerner les enjeux économiques de
l’activité mais surtout financiers.
UNE ORGANISATION A LA MERCI DES BIAIS COGNITIFS
Pour les entreprises, qu’elles soient publiques ou privées seul les actes de management et les
prises de décisions comptent. Car il ne faut pas se leurrer en se limitant à des lectures comptables
ou des rapports de gestion, ceux-là demeureront des vitrines pour amadouer la gallérie ou attirer
des financements.
C’est ainsi qu’on essaiera tant bien que mal de se structurer, se prémunir des risques, de
rentabiliser nos actions, se certifier et en somme se pérenniser (dans l’hypothèse d’un
management bienveillant).
Mais dans ces efforts de gestion, on constatera tout de même des dérives à la fois techniques et
organisationnelles générées par des biais cognitifs qui agissent en maître dans les choix et
décisions des managers.
On s’adossera sur nos études, nos expériences et parfois nos instincts pour les transformer en des
« actes de management » ce qui est visiblement loin de l’être. On parlera alors de climat toxique,
de « turnover », de management autoritaire, de « burn-out » et d’autres symptômes médicaux
diagnostiqués par des médecins de la clinique LinkedIn.
La théorie du renversement démontre que les décisions d'un sujet n'obéissent pas
nécessairement aux préférences rationnelles, mais aux expériences. En effet, ces fluctuations ou
renversements sont induits par des éléments contingents et indépendants du sujet, ou au
contraire par des sentiments autogènes de frustration comme de satiété. Interpelée par des
formes de comportements ininterprétables par raisonnement.
Les managers prendront alors des décisions économiques sous influence de leurs biais cognitifs,
surtout si ceux-là sont confortés par d’autres indicateurs chiffrés et donc apaisant le manager dans
sa réflexion. C’est alors que l’ensemble des processus en entreprise : le recrutement, les finances,
les investissements, la gestion du contentieux, …etc se retrouvent impactés par cette démarche
qui semblera en apparence louable et performante, tant que les résultats financiers seront
positifs.
L’ENTREPRENEURIAT EN ALGERIE
L’illustration positive de l’exercice de stratégies d’entreprise
Bien que nous demeurions sceptiques sur cette approche prônée par le gouvernement du « tout
le monde peut entreprendre, tout le monde peut réussir et vivre heureux », nous sommes
toutefois intéressés en traitant ce sujet de voir les prémices de stratégies entrepreneuriales
poussées ici et là par de jeunes entrepreneurs, en abstraction de leur maturité professionnelle,
leur formation académique ou niveau d’instruction. Car en faisant cela, ces « audacieux » mettent
la main à la pâte et ne se soucient guère de la couleur de leurs cravates. Ce qui compte pour eux
à ce stade c’est la concrétisation d’une idée, d’un rêve et donc d’objectifs concrets.
Et comme pauvreté n’est pas vice et n’ayant pas la prétention de maitriser tous les processus en
entreprise, ces audacieux feront appel à des experts pour les accompagner selon les cas.
LA DERIVE DES ENTREPRISES PUBLIQUES ECONOMIQUES EN ALGERIE
Exorciser le modèle de gouvernance de cette sémantique creuse et déphasée du
monde
Pour ne pas citer une entreprise en particulier, on se limitera à une analyse verticale de cette
dérive qui a valu la perte de milliers d’emplois et des bouleversements sociaux générés par ce
désastre économique. L’origine du mal demeure l’absence de vision stratégique au sein de la
gouvernance politique, en laissant de côté cette sémantique où le sensationnel prime sur la réalité
économique du pays et du monde.
Mais tâchons tout de même d’analyser le niveau de management des décideurs au sein de ces
entreprises publiques qui dans la plupart des cas savent tout, parce qu’ils concentrent dans une
seule direction les facultés inquisitoriales de leur esprit sans remises en question.
Et nous insisterions pour dire qu’aucune préconisation ne sera utile, tant qu’aucune bienveillance
politique il y aura pour bien faire. De la bienveillance en politique ! En voilà une pensée naïve me
dira-t-on. Mais j’ajouterai que cette bienveillance politique est celle inspirée par Ibn Khaldoun, Ibn
Badis, Malek Benabi, Ismaîl Guoumeziane et d’autres penseurs algériens et non pas affichée par
la réalité politique du pays et de certains canaux médiocres.
En revanche, nous espérons que ces quelques lignes s’ajouteront à ces alertes données par des
spécialistes en divers domaines à qui souhaite l’entendre et l’analyser, afin d’amorcer une
réflexion « bienveillante et sérieuse ». Le jeu de pouvoir n’est pas un sujet d’études à ce stade !
Tarik Abdallah MEHDI